Homélie sur la parabole du pharisien et du publicain



Au festin de la parabole, ne prenons pas la première place, en nous croyant plus humbles que le pharisien et moins pécheur que le publicain.

Prenons la dernière place, en mesurant comment l’un et l’autre nous sont supérieurs. Alors seulement nous serons en mesure de comprendre pourquoi l’un est justifié et l’autre non.

Commençons par le Pharisien, puisque le Seigneur lui-même lui donne la préséance – comme s’il prenait au pied de la lettre la haute estime qu’il a de lui-même et de son mérite.

Que fait le Pharisien ? Il fait mieux que la plupart d’entre nous. D’abord, il prie, il prie honnêtement, et il prie intérieurement, dans la mesure où le Seigneur nous le décrit debout et priant en lui-même. La prière debout indique en effet une piété extérieure irréprochable, et la prière en lui-même une piété intérieure qui ne l’est pas moins. Ensuite, il est écrit que le Pharisien jeûne deux fois par semaine et donne la dîme, c’est à dire un dixième, de tout ce qu’il acquiert. Là encore, il est au rendez-vous du sevice du prochain puisqu’il donne inconditionnellement le dixième de ses revenus, et il est au rendez-vous d’une ascèse plus intérieure, en jeûnant toute l’année davantage que la plupart d’entre nous au cours du Carême. Cet homme, que nous sommes habitués à mépriser sans vraiment chercher à le comprendre, commençons par reconnaître qu’il nous est supérieur par sa piété, si nous voulons nous approcher du mystère de son absence de justification.

Que fait ensuite le Publicain ? Il fait lui aussi mieux que la plupart d’entre nous. Il reconnaît la grandeur incommensurable et ineffable de Dieu, puisqu’il n’ose même pas lever les yeux au ciel. Il souffre de son péché puisque le remords qu’il lui inspire le conduit à se frapper la poitrine. Il ne demande rien d’autre que la miséricorde divine puisque sa prière, qui est à la source de notre prière, tient en deux mots : aie pitié – soit notre kyrie eleison. Cet homme, que nous sommes habitués à honorer sans vraiment chercher à le comprendre, commençons par reconnaître qu’il nous est supérieur par sa foi, si nous voulons nous approcher du mystère de sa justification.

Et maintenant que nous avons pris notre place, derrière le Pharisien qui nous surpasse par son mérite, et derrière le Publicain qui nous surpasse par son humilité, essayons de comprendre le sens de la parabole, qui tient à sa conclusion : tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé.

Celui qui s’élève, c’est le Pharisien qui croit avancer vers Dieu en escaladant l’échelle de son propre mérite. Cette échelle existe, son mérite est incontestable, et même louable. Et ce n’est pas lui qui l’éloigne de Dieu. Ce qui l’éloigne de Dieu, c’est le sentiment de son propre mérite – c’est la façon qu’il a de se substituer au regard de Dieu pour se décerner à lui lui-même le salut. Le Pharisien, ce n’est donc pas un simple bourgeois gonflé d’orgueil humain. C’est un homme pieux qui se sent le juge auxiliaire de Dieu parce qu’il est plus généreux, plus discipliné ou même plus inspiré que d’autres. En un mot c’est un religieux qui identifie la piété d’une élite à ce Royaume au sein duquel nous avons nous-mêmes appris que beaucoup sont appelés mais peu sont élus.

Celui qui s’abaisse, c’est le Publicain qui se juge indigne de la miséricorde divine, et qui prie alors même qu’il sent combien sa prière est enténébrée par son péché. Ce qui le rapproche de Dieu en dépit de ce péché, c’est le sentiment de son absence totale de mérite – c’est la façon qu’il a de s’en remettre totalement au regarde de Dieu. C’est un homme perdu qui se sent condamné parce qu’il se considère comme le dernier des hommes. En un mot c’est un païen qui identifie le Royaume au privilège de cette même élite à laquelle le Pharisien croit appartenir.

Il est d’ailleurs intéressant de noter ici que le Pharisien et le Publicain partagent une vision presque identique du salut comme récompense du mérite.

Et c’est l’un comme l’autre que Dieu renverse et bouleverse. Le premier, en ne le justifiant pas alors qu’il croit devoir l’être. Et le second, en le justifiant alors qu’il croit devoir ne pas l’être.

Car la vérité est là et elle seule est irréversible : tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé.

Il est écrit tout homme s’élève parce que c’est la tentation de notre nature. Mais il est écrit au singulier celui qui s’abaisse sera élevé, parce que l’abaissement face à Dieu ne peut être que le fruit de la libre décision de notre personne.

Ou, pour le dire avec les mots de Simone Weil, la grâce, c’est la loi du mouvement descendant. Le montant est naturel, le descendant surnaturel.

Comme le Pharisien, nous sommes tentés par le mouvement montant, parce qu’il nous est naturel. Comme le Publicain, choisissons le mouvement descendant, parce qu’il nous est personnel et parce qu’il est surnaturel.

Ainsi, ne cherchons pas à monter par nature, mais descendons par grâce – alors nous rentrerons chez nous justifiés, et ce chez nous, comme cette justification, manifesteront ce qu’aveuglément nous appelons le Royaume.

Lundi 14 Février 2022