"On se prend à rêver d’une seule femme, en laquelle se fondent, sur le prototype de la mère de Dieu, toutes les femmes saintes ou pécheresses". Homélie pour le troisième dimanche de Pâques



A l’occasion du troisième dimanche de Pâques, l’Église honore la mémoire des plus proches témoins de la mort et de la résurrection du Seigneur.

Il y a d’abord Joseph d’Arimathie, qui évoque mystérieusement cet autre Joseph dont il est question au début de l’évangile et qui lui aussi a pris soin, dans le secret, de Jésus-Christ. L’un a pris dans ses bras un nouveau-né, l’autre un supplicié. L’un l’a placé dans une mangeoire, l’autre dans un tombeau. L’un a élevé en enfant, l’autre a descendu de la croix un homme dans la force de l’âge.

Nous pouvons poursuivre notre rêverie en songeant que le père de Jésus était un descendant du Roi David, auquel un certain nombre d’apocryphes accordent une autorité morale éminente, là où Joseph d’Arimathie est qualifié par l’évangéliste d’homme influent, membre du Conseil ; en nous souvenant que le père de Jésus « ne craint pas de prendre chez lui Marie, son épouse », alors qu’il sait ne pas être géniteur de l’enfant qu’elle porte, là où Joseph d’Arimathie « a l’audace d’aller chez Pilate pour demander le corps de Jésus » ; enfin en méditant sur l’enseignement des apocryphes selon lesquels le père de Jésus se montre respectueux de la virginité de son épouse, là où Joseph d’Arimathie « roule une pierre contre l’entrée du tombeau ».

On se prend à rêver qu’il n’y a qu’un seul Joseph, humble autant qu’il est éminent, et accomplissant avec une fidélité silencieuse le service du Père pour le fils naissant, le fils grandissant, et enfin le fils défunt.

Et voici le portrait de ce Joseph de rêve, écrit en superposant ses deux grands inspirateurs, celui qui honoré Dieu au premier jour de sa vie sur terre, et celui qui l’a honoré au dernier jour en le mettant en terre : c’est un homme connu et respecté, sans être pour cela le prisonnier de sa bonne réputation ; c’est un homme qui assume personnellement le rapport entre le sauveur et l’État ou la société, ici en s’acquittant du recensement, là en s’adressant au gouverneur de Judée ; c’est un homme qui prend physiquement soin du sauveur, ici en le prenant dans ses bras, là en l’enveloppant de langes ou d’un linceul.

Et nous, frères et sœurs, prions Jésus-Christ comme ce Joseph l’honore : en demandant son corps au moment de la communion, en le recevant du prêtre, en le faisant descendre dans les profondeurs de notre chair, et en le déposant dans le sépulcre vivifiant de notre cœur.

Il y a ensuite les saintes femmes qui, aussitôt « le sabbat terminé, achètent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus ». L’une d’elle s’appelle Marie, et avec ses compagnes, comme un Joseph à l’autre fait écho, elle évoque mystérieusement la mère de Dieu. L’une a laissé le Saint Esprit embaumer son corps pour qu’elle puisse concevoir le Seigneur, et les autres veulent embaumer le corps du Seigneur. L’une su d’un ange qu’elle allait donner naissance au Sauveur, et les autres apprennent d’un jeune homme vêtu de blanc que le Sauveur est ressuscité. L’une s’est effacée derrière douze disciples qu’elle devançait d’une trentaine d’année dans l’ordre de la révélation, et les autres s’apprêtent à remettre l’annonce de la bonne nouvelle à ceux-là même qu’elles ont devancé dans l’ordre de la foi, de l’espérance et de la charité.

On se prend à rêver d’une seule femme, en laquelle se fondent, sur le prototype de la mère de Dieu, toutes les femmes saintes ou pécheresses, saintes et pécheresses, qui ont connu et reconnu, deviné et révélé, servi et aimé le Seigneur au cours de sa vie sur terre.

Et voici le portrait de cette Marie de rêve, écrit en superposant la Samaritaine et la Madeleine, la femme hémorroïsse et les femmes myrrhophores, Marie contemplative et Marthe empressée : c’est une femme qui a su avant et sans qu’on le lui dise ; c’est une femme qui a deviné au sens où l’entendait le grand mystique Ernest Hello : « Comment donc faire pour deviner ? Faut-il un effort de pensée, un acte étonnant d’intelligence ? Non, voici le secret. Deviner, c’est aimer. Demandez à tous ceux qui ont deviné comment ils ont fait ? Ils ont aimé, voilà tout ». C’est une femme qui a la meilleure part, la part de celle qui est récompensée parce qu’elle a devinée, et qui a deviné parce qu’elle a aimée, là où l’homme prend les devants aveuglément, court mais trébuche, promet de veiller mais s’endort, confesse mais renie, revendique et trahit.

Et nous, frères et sœurs, et surtout nous mes frères, prions Jésus-Christ comme les femmes l’honorent : « de grand matin, le premier jour de la semaine, dès le lever du soleil », c’est-à-dire avec cet amour absolu qui ne tolère aucun retard, qui n’écoute aucune argutie, qui consume toute les bonnes et les mauvaise raisons de sursoir ; en saturant le monde des parfums que nous lui destinons et qui sont à la parole ce que l’amour est à la connaissance : un préalable, une condition, et même une source.

Frères et sœurs, nous qui cherchons des maîtres, des pères spirituels, et toute source d’inspiration capable de nous guider sur le chemin de la vie, mettons-nous à l’école de ceux qui furent les plus proches de notre Sauveur entre sa mort et sa résurrection : un homme venu parachever l’œuvre du père, et des femmes devineresses par amour, venues poursuivre la mission de la mère de Dieu.

Et que Celui qui se laisse aimer, approcher, toucher par les hommes nous élise à l’embaumer de nos prières.

Dimanche 8 Mai 2022