Homélie pour la solennité de la Transfiguration du Seigneur (2012)



Homélie pour la solennité de la Transfiguration du Seigneur (2012)
Chers frères et sœurs, d’après la tradition évangélique, personne n’a contemplé le moment de la résurrection du Seigneur Jésus. Aucun apôtre, aucune femme n’ont vu la façon dont la force divine a ressuscité le corps de Jésus ; personne n’a observé comment la vie est revenue dans l’humanité assumée par le Verbe de Dieu. Les apôtres ont vu le Christ ressuscité par la suite, lorsqu’il leur est apparu au soir de la Pâque ; Marie Madeleine a parlé avec lui quelques heures après qu’il s’est manifesté vivant dans son corps. Enfin, de nombreux disciples ont contemplé l’ascension du Verbe incarné dans les cieux. Mais le moment même de la résurrection de Jésus est resté caché au regard des hommes. Pourtant, il constitue la rupture la plus essentielle de l’histoire de l’humanité.

Imaginez la grâce de pouvoir contempler l’instant où la force vivifiante et créatrice de Dieu envahit le corps mort de Jésus pour lui rendre la vie. Imaginez ce que cela ferait de voir comment la gloire du Créateur de l’univers remplit l’humanité inanimée du Christ et la libère de l’emprise de la mort, la délivre des lois de la nature corruptible et la rend immortelle, vivante à jamais, participante de la vie éternelle de l’Auteur des siècles. C’est une vision indescriptible. Ce serait comme observer l’instant de la création elle-même où la matière jaillit du néant total. C’est comme voir la naissance du premier homme, où le souffle de Dieu, une partie de son intelligence infinie, éclot dans un corps matériel d’une harmonie et d’une beauté digne du trésor spirituel qu’il reçoit. C’est aussi extraordinaire que d’observer la façon dont le Verbe divin, parfaitement spirituel et infini, devient homme dans le sein virginal de Marie, en enfermant la totalité sans limites de sa puissance créatrice dans un minuscule embryon humain pour ne former qu’un seul être avec l’humanité qu’il avait lui-même programmée et façonnée.

Nul n’a vu l’instant de la résurrection du Seigneur, nul n’a été témoin de la seconde naissance de l’homme nouveau, refaçonné à l’image de la gloire de Dieu. Mais cinq d’entre nous – humains – ont vu quelque chose d’aussi extraordinaire, préfigurant l’avènement de l’homme nouveau. Cinq êtres humains ont vu le second Adam dans toute sa splendeur. Il s’agit de deux prophètes et de trois apôtres : ce sont Moïse et Elie et les apôtres Pierre, Jean et Jacques. Ils n’étaient pas là dans le tombeau quand Jésus est ressuscité, mais ils étaient sur la montagne où l’humanité du Seigneur – exactement la même humanité que celle que nous partageons – a resplendi de la gloire de Dieu.

Ils étaient là pour voir Dieu apparaître dans un homme. Ils ont vu la manifestation du Créateur dans la créature. Ils ont été témoins de la plus paradoxale et incroyable théophanie où Dieu s’est révélé par et dans l’humanité assumée par son Fils et Verbe. Chers frères et sœurs, la Transfiguration du Seigneur est la théophanie la plus inattendue de notre histoire. Moïse et Elie qui avaient déjà été témoins des mémorables manifestations de Dieu étaient là pour l’attester. Ces deux visionnaires de Dieu ne pouvaient manquer l’apogée de la révélation de Dieu aux hommes. C’est dans le Christ Jésus, homme né de Marie, que Dieu s’est manifesté avec le plus d’éclat. Cette théophanie est la plus paradoxale, mais aussi la plus authentique. En effet, aucun homme ne peut voir Dieu tel qu’il est. Il est impossible qu’une créature – aussi intelligente et parfaite qu’elle soit – puisse contempler la force qui est à l’origine de tout ce qui est et qui maintient tout l’univers. Comment voir la vie elle-même ? C’est impossible avec les yeux matériels ; c’est difficile avec les yeux spirituels. Nul ne peut voir Dieu. Aucun être vivant ne peut contempler la divinité en ce qu’elle est vraiment. A moins qu’elle ne se révèle elle-même.

Celui qui est auteur d’une œuvre aussi somptueuse que l’univers sait se manifester à ses créatures raisonnables, mais pas toujours de la façon dont elles l’attendent. L’antique Israël le savait déjà. Elie a vu passer un ouragan, un tremblement de terre, des éclairs avant de sentir la présence du Seigneur dans le murmure d’une brise légère qui devait symboliser l’intimité des rapports entre le prophète et son Dieu (cf. 1 R 19, 9-14). Moïse, l’ami du Seigneur, été plus proche de Dieu que n’importe quel de ses contemporains ; il a vu la gloire de Dieu, il a conversé avec le Seigneur. Mais ni Elie ni Moïse n’ont pu établir un contact aussi étroit, aussi intime, avec Dieu que celui que le Créateur lui-même a imaginé par l’incarnation de son Verbe. Dieu a laissé Moïse voir son dos (Ex 33, 21-23), il a laissé Elie sentir sa présence dans le murmure du vent léger. Mais pour a plus grande manifestation il a choisi non plus les éléments de la nature, ni les mouvements de l’esprit, mais l’humanité tout entière. Il s’est révélé pleinement dans l’homme Jésus-Christ auquel la plénitude la divinité était unie corporellement. Moïse et Elie ont vu l’intime union entre Dieu et l’homme au moment de la transfiguration de Jésus sur la montagne. Les apôtres ont vu, avec eux, l’avènement de l’homme nouveau transfiguré par l’union inséparable avec Dieu. Personne ne peut voir la face de Dieu (Ex 33, 23), mais les cinq témoins de la Transfiguration de Jésus-Christ ont vu la lumière divine provenant de la face rayonnante du Verbe incarné. Il est impossible de voir la divinité telle qu’elle est de toute éternité, mais cinq hommes ont vu le rayonnement de la lumière éternelle et incréée de Dieu sur le visage de l’homme Jésus. Cette vision les a préparés à voir sur la Croix du Christ la plus authentique manifestation de la gloire de Dieu.

Un des témoins de cette vision extraordinaire – Pierre – nous en a laissé le témoignage que vous venez d’entendre, dans sa seconde épître catholique : « Ce n’est pas en suivant des fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et l’Avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais après avoir été témoins oculaires de sa majesté. Il reçut en effet de Dieu le Père honneur et gloire, lorsque la Gloire pleine de majesté lui transmit une telle parole : ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur’. Cette voix, nous, nous l’avons entendue ; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte » (2 P 1, 16-18).

Et quel message nous laisse ce témoin oculaire de la majesté du Seigneur, Pierre qui a donné sa vie pour confirmer la vérité de ce qu’il a vu et entendu du Verbe de Dieu ? Il nous annonce le retour de son Seigneur ; il nous promet que nous verrons, nous aussi, la gloire de Dieu à travers l’humanité qu’il a assumée : « Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de ce qu’il a promis, comme certains l’accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir. Il viendra, le Jour du Seigneur, comme un voleur […]. Les cieux enflammés se dissoudront et les éléments embrasés se fondront. Ce sont de nouveaux cieux et une terre nouvelle que nous attendons selon sa promesse où la justice habitera » (2 P 3, 10 et 13).

Dimanche 19 Août 2012
Alexandre Siniakov