Homélie pour la solennité de la Nativité du Seigneur



« C’est à cause de nous et pour nous que Dieu est devenu un d’entre nous ». Dans cette belle formule, Léonce de Byzance – un des plus remarquables théologiens orientaux du VIe siècle – résume le caractère anthropocentrique du dessein salutaire de Dieu. Voilà une affirmation paradoxale : l’anthropocentrisme de l’œuvre de Dieu. Elle pourrait faire sursauter certains de nos contemporains qui ont l’anthropocentrisme en horreur, le considérant comme une impie invention du monde déchu et sécularisé.

Pourtant, c’est bien la philanthropie de Dieu qui est à l’origine de l’incarnation du Verbe. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que tout homme qui croit en lui ne meure pas, mais ait la vie éternelle ». Combien grand doit être l’amour de Dieu pour le monde et l’homme qu’il a créés pour que son Verbe éternel devienne l’un d’entre nous. Aussi grand qu’il soit, cet amour de Dieu pour l’homme n’a rien d’illogique : pourquoi le Créateur n’aimerait-il pas ce qu’il a créé ? Pourquoi Dieu mépriserait l’homme qui est son propre ouvrage ? Pourquoi l’humanité ne serait-elle pas digne d’accueillir son propre Auteur, son Archétype dont elle l’image vraie et vivante ?

Non! que les misanthropes se taisent face au mystère de l’incarnation de Dieu. La nature humaine n’est pas mauvaise en elle-même, le monde créé par Dieu n’est pas méprisable. Aussi petit et passager qu’il soit, l’homme n’est pas naturellement indigne de Dieu : il a été inventé, façonné par Dieu. Et sa chute ne l’a pas privé de sa dignité et de son intérêt aux yeux de son Créateur, puisqu’il devient lui-même homme pour le salut de l’humanité. Dieu est philanthrope : la liturgie orthodoxe le sait très bien, elle le confesse comme tel sans cesse. Si Dieu aime l’homme au point de devenir ce qu’il a créé pour arrêter notre déchéance et rétablir le lien affaibli entre Créateur et créature, avons-nous droit, nous les humains, de mépriser notre nature créée par Dieu et recréée par son Fils incarné ? Avons-nous le droit de dire du mal de l’humanité non seulement façonnée par le Verbe, mais aussi assumée par lui?

A cause de nous, par amour pour nous, pour notre salut et bonheur, Dieu lui-même est devenu un d’entre nous : c’est la foi de l’Eglise. Rien de plus beaux et de plus grand ne sera jamais dit sur la perfection et la grandeur de l’humanité. Qu’on cesse de nous détourner de la vraie valeur de l’homme ; que personne d’entre nous n’ose croire que Dieu nous est étranger, qu’il n’y a rien de commun entre Lui et nous. Le mystère que nous célébrons aujourd’hui nous montre le contraire : l’homme n’est pas étranger à Dieu puisque Dieu est désormais homme, Jésus-Christ, notre Seigneur, notre Créateur, notre Sauveur et notre Ami, que nous aimons, que nous adorons, que nous remercions en cette nuit pour sa philanthropie extrême et combien efficace, pour sa miséricorde discrète et opérante. A lui, vrai Dieu, devenu vrai homme, louange et gloire pour les siècles des siècles.

Homélie pour la solennité de la Nativité du Seigneur

Samedi 7 Janvier 2012
Alexandre Siniakov