Homélie pour la fête de saint Basile le Grand (1er/14 janvier 2012)



Homélie pour la fête de saint Basile le Grand (1er/14 janvier 2012)
Frères, vous savez que Grégoire le Théologien a écrit une longue et passionnante Oraison en l’honneur de son ami Basile le Grand, archevêque de Césarée en Cappadoce. Ce discours (qui porte le numéro 43 dans les éditions contemporaines) est une des plus remarquables œuvres de saint Grégoire. Elle est rédigée dans une langue parfaite et d’une rare subtilité. Ce discours séduit par sa franchise : l’amitié bouleversante du Théologien pour Basile, l’admiration inébranlable qu’il a pour son ami ne l’empêchent pas d’exprimer un désaccord amical avec tel ou tel geste de Basile.

Grégoire ne cache pas le chagrin d’avoir été séparé de celui qu’il appelle « sa moitié » et même les longues années entre la mort de Basile et la rédaction du discours n’ont pas estompé le sentiment de solitude de saint Grégoire qui écrit ceci : « Quant à moi, Grégoire, à moitié mort et amputé d’une moitié, arraché à cette grande union et traînant une vie douloureuse dont la course est brisée, comme il est naturel après une telle séparation, je ne sais où j’aboutirai, privé de la direction d’un homme dont je reçois encore maintenant avertissements et corrections dans des visions nocturnes quand il m’arrive de m’écarter du devoir ». L’amitié entre Grégoire le Théologien et Basile le Grand a été, avec la philosophie (c’est-à-dire la vie monastique), leur plus grand trésor dont l’Eglise tout entière a profité et profite encore.

Nous pourrions parler longtemps de cette « grande union » de deux immenses théologiens que nous livre leur correspondance, mais je pense qu’il serait utile de vous rappeler un autre point important de l’Oraison en l’honneur de saint Basile, un point qui nous concerne particulièrement nous qui, dans ce séminaire, essayons, chacun à proportion de ses forces, de nous former et de nous instruire en vue du noble ministère de la Parole de Dieu. Vous savez d’ailleurs que Grégoire disait que Dieu aime justement « ce qu’on réalise à proportion de ses forces ». Ce point, que j’aimerais évoquer avec vous, c’est l’éducation, l’étude intellectuelle, dont Grégoire le Théologien et Basile de Césarée se sont fait les principaux promoteurs dans l’Eglise du IVe siècle.

Dans son Oraison en l’honneur de saint Basile, Grégoire le Théologien décrit l’éducation comme « le premier des biens qui sont à notre disposition ». Il précise tout de suite qu’ « il ne s’agit pas seulement de cette éducation pleine de noblesse qui est la nôtre, et qui dédaigne élégance et recherche de langage pour ne s’attacher au salut et à la beauté des idées. Cela concerne également l’éducation du dehors, que la majorité des chrétiens rejettent avec dégoût, la jugeant insidieuse, dangereuse et propre à nous écarter de Dieu, ce qui constitue une erreur de jugement ». Grégoire est très dur avec ceux qui méprisent la formation intellectuelle complète qui ne se limite pas à la seule ascèse chrétienne ; voici ce qu’il dit à leur sujet : « On ne doit pas mépriser l’éducation pour le motif que telle est l’idée de certains : on doit au contraire présumer que ce sont des gens frustes et incultes que ceux qui professent une telle opinion, gens qui voudraient que tout le monde fût comme eux, afin que, perdu dans la masse, leur cas particulier demeurât ignoré, et pour éviter à leur inculture d’être démasquée ». Voilà donc une chose certaine : si Grégoire de Nazianze et Basile de Césarée vivaient aujourd’hui, ils vous auraient certainement encouragés à consacrer vos jeunes années, tout le temps que Dieu met à votre disposition à l’étude et à la formation intellectuelle, sans bien sûr négliger la croissance spirituelle dans la contemplation des mystères du salut de Dieu. D’une certaine façon, dans notre séminaire, nous essayons de mettre en pratique la vision de l’éducation des grands Cappadociens : en associant à la formation proprement religieuse et théologique les études des sciences du dehors, dans les universités – les équivalents contemporains de l’Académie de Platon à Athènes où Basile et Grégoire ont passé les plus mémorables années de leur jeunesse.

Pour Grégoire le Théologien, Basile le Grand est le modèle de ce chrétien savant qui associe vertu et science, foi et intelligence, ascèse et curiosité pour les disciplines non chrétiennes, vie monastique et carrière d’orateur, l’amour des Écritures saintes et l’érudition dans la poésie antique grecque. Comme dit Grégoire, « la manière de vivre et l’éloquence progressant de pair plus loin et plus haut » chez le grand Basile, entouré et encouragé par sa noble et illustre famille. Grégoire loue le caractère universel et complet des études de Basile, accompagnées par l’approfondissement de la foi et de la piété : « son éducation, dit-il, reposait sur l’enseignement du cercle complet du savoir et sur la pratique des exercices de la religion, et, pour tout dire d’un mot, ses premières études le menaient à sa future perfection ».

Chers frères, célébrant aujourd’hui la mémoire du grand Basile que nous avons l’impression de connaître intimement grâce à son ami saint Grégoire le Théologien, je vous souhaite de tout cœur que votre éducation dans les murs de ce séminaire ressemble ne serait-ce qu’un peu à celle de saint Basile. Puissiez-vous progresser simultanément dans l’étude du cercle complet du savoir et dans la pratique de la piété. Ne négligez ni l’un ni l’autre si vous voulez être de vrais disciples de saint Basile et de saint Grégoire. Ne fuyez pas les sciences, mais cultivez la foi. Ne méprisez pas les lettres, soyez assidus en même temps à la lecture de la Parole de Dieu. Soyez à l’aise dans les universités, mais aimez la maison de l’Eglise. Écoutez ce que vous disent les savants de ce monde, mais ouvrez votre cœur à la vérité de l’Evangile. Soyez guidés par l’exemple d’ouverture, de sagesse et de largesse d’esprit des saint Basile et Grégoire.

Pour finir, écoutez encore ce que dit saint Grégoire : « Ceux qui ont atteint la réussite soit uniquement dans la manière de vivre soit dans le domaine intellectuel en laissant de côté l’autre terme, ne se distinguent, à mon avis, en rien des borgnes, qui sont frappés d’un grave désavantage et d’une difformité plus grave encore quand ils regardent ou quand on les regarde. Mais ceux à qui il appartient de se distinguer dans les deux domaines et d’y exceller, ceux-là sont des êtres accomplis, et le déroulement de leur existence s’accompagne de la félicité de l’au-delà ». C’est une telle vie accomplie et équilibrée, embrassant l’étude et la piété, que nous devrions demander à Dieu pendant notre liturgie de ce jour, en implorant saint Basile de soutenir notre prière par sa puissante et paternelle intercession.


Samedi 14 Janvier 2012
Alexandre Siniakov