Discours de Mgr Hilarion à l'inauguration du séminaire



Discours de Mgr Hilarion à l'inauguration du séminaire
Ci-dessous nous publions le discours prononcé par l'archevêque Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, le 14 novembre 2009 à la séance solennelle d'inauguration du séminaire orthodoxe russe en France:

Monsieur le Cardinal, Messeigneurs
Monsieur le Préfet,
Messieurs les Ambassadeurs,
Chers Frères et Sœurs,

C’est une grâce pour moi d’être invité, en votre honorable présence, à inaugurer le Séminaire orthodoxe russe en France. Nous sommes tous conscients qu’il s’agit d’un événement vraiment historique. En effet, c’est la première fois que l’Église orthodoxe russe ouvre un séminaire en Occident. L’inauguration du Séminaire orthodoxe russe en France est donc une date importante pour l’histoire du patriarcat de Moscou. Mais je suis sûr qu’elle marquera aussi une étape historique des relations de notre Église avec les chrétiens occidentaux, et tout particulièrement avec l’Église catholique de France.

En cette année croisée de la Russie en France et de la France en Russie, il n’est, peut-être, pas inutile de rappeler que les liens si nombreux qui unissent nos deux pays ne sont pas uniquement politiques et économiques, culturels ou artistiques. Ils sont aussi, et peut-être d’abord, spirituels et religieux. Parmi bien des exemples, rappelons qu’Anne de Russie, devenue reine de France en épousant Henri Ier au onzième siècle, apporta à Reims l’Évangéliaire slavon sur lequel les rois de France prêteront serment. Plus près de nous, au début du dix-huitième siècle, les théologiens de la Sorbonne échangèrent une correspondance étonnante avec l’empereur de Russie Pierre le Grand au sujet de l’unité de l’Église. Au dix-neuvième siècle, époque où la culture française faisait quasiment partie de la culture russe, l’installation de nombreux représentants de l’élite russe en France entraina la construction de superbes cathédrales et jeta les fondements d’une présence institutionnelle de l’Église orthodoxe dans ce pays. Enfin, la Révolution russe provoqua l’émigration à Paris de nombreux membres du clergé et de l’intelligentsia orthodoxes, qui permirent non seulement la survie de la pensée religieuse russe, mais aussi son développement et son rayonnement en Occident, grâce aux contacts avec les intellectuels français : citons, parmi bien d’autres, le théologien Vladimir Lossky, l’iconographe Léonide Ouspensky, ou encore le grand philosophe Nicolas Berdiaev. Tout près d’ici, le cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois atteste de la présence en France de ces innombrables témoins de l’orthodoxie russe.

La fin du régime soviétique, il y a bientôt vingt ans, a permis la reprise inespérée de cette tradition d’échanges religieux et spirituels entre nos deux pays. De nombreux fidèles de l’Église orthodoxe russe sont venus s’installer en France, provisoirement ou non, et ont demandé à leur Église mère de leur envoyer des prêtres pour qu’ils puissent pratiquer la foi que, bien souvent, ils avaient récemment redécouverte à la faveur de la liberté. Les paroisses et les communautés de l’Église orthodoxe russe en France se sont multiplié et ont acquis une visibilité nouvelle. De nombreux étudiants orthodoxes russes ont été envoyés ici pour parfaire leurs études en vue de se préparer à servir leur Église. En un mot, l’amitié ancienne entre les chrétiens de France et ceux de Russie a pu reprendre son cours. Le symbole de ces retrouvailles a été la visite historique à Paris en octobre 2007 de Sa Sainteté le patriarche Alexis, de bienheureuse mémoire, à l’invitation du président de la Conférence des évêques de France et de l’archevêque de Paris. Ce fut la première visite officielle d’un patriarche de Moscou en France. Nous avons tous en mémoire les images émouvantes du patriarche vénérant la Couronne d’épine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris remplie de fidèles – Notre-Dame, si chère au cœur de tous les russes. Un an plus tard, en octobre 2008, le cardinal André Vingt-Trois fit à notre Église l’honneur d’une visite officielle qui fut aussi un pèlerinage, à l’invitation du patriarche Alexis II, qui retourna à Dieu quelques semaines plus tard. Qui aurait pu prédire, il y a quelques décennies, que de tels événements auraient pu se produire ? Qui aurait pu imaginer que l’archevêque de Paris accueillerait un jour dans sa cathédrale le patriarche de Moscou ? Je ne parle même pas de la terrible persécution qui opprimait notre Église et rendait ces perspectives parfaitement illusoires. Je pense surtout aux préjugés réciproques de nos Églises qui auraient rendus impossibles ces gestes d’unité. Or nous le savons bien : c’est d’abord par l’amitié, par les contacts personnels et directs entre Églises locales que l’unité des chrétiens se réalisera.

C’est donc dans cette tradition renouvelée de contacts religieux et spirituels entre la Russie et la France que s’inscrit la fondation de ce séminaire, un an après la visite à Moscou du cardinal André Vingt-Trois. Mais pourquoi fonder un tel séminaire ? La première réponse est la suivante. Pendant plus de soixante-dix ans, l’Église orthodoxe russe a subi une persécution sans équivalent dans l’histoire du christianisme. À la suite de la Révolution, des centaines de milliers de chrétiens furent tués, des milliers d’églises rasées, les séminaires et les académies furent fermés les uns après les autres. Seuls deux séminaires furent autorisés à fonctionner à partir de 1945. La fin du régime soviétique a entrainé, par la grâce de Dieu, une résurrection inespéré de notre Église. En vingt ans, le nombre de diocèse a doublé, celui des paroisses à quadruplé, quant aux monastères, ils sont passés d’une vingtaine à près de huit cent. Le nombre de prêtres et de diacres a quadruplé, passant de sept milles à trente milles. Pour faire face aux énormes besoins requis pour la formation des prêtres, l’Église russe a ouvert, en vingt ans, quarante séminaires et autant de petits-séminaires, dans des conditions de dénuement presque total. La plus grande difficulté fut de trouver des cadres et des enseignants compétents pour la formation des séminaristes, dont dépend l’avenir de l’Église. Souvent grâce au soutien de nos frères chrétiens occidentaux, de nombreux étudiants, de jeunes prêtres et moines ont été envoyés faire des études complémentaires ici, en France, mais aussi en Angleterre, en Italie, en Suisse ou en Allemagne, pour élargir leurs horizons intellectuels et humains, pour apprendre les langues, acquérir non seulement des diplômes, mais aussi des méthodes de travail. J’ai eu la chance d’être l’un d’eux, puisque j’ai pu faire mes études à Oxford et y soutenir ma thèse de doctorat. Plus tard, en travaillant au service des relations extérieures de l’Église orthodoxe russe, j’ai eu l’occasion d’envoyer de très nombreux séminaristes étudier en Occident. Bon nombre d’entre eux jouent maintenant un rôle important dans l’Église. Mais en même temps, passer de nombreuses années à l’étranger sans contact avec son Église mère est difficile pour des séminaristes qui se destinent à servir l’Église.

Nous nous sommes rendu compte que le temps était venu d’offrir un cadre spirituel, liturgique et canonique adapté à ces jeunes gens. D’où l’idée de fonder ce séminaire, destiné à accueillir des séminaristes envoyés par leurs évêques et qui suivront des cours dans divers établissements parisiens et sur place. Le projet en fut lancée, à la suite de la visite en France du patriarche Alexis II, par le métropolite Cyrille, alors président du Département des relations extérieures. Aujourd’hui primat de l’Église russe, le patriarche Cyrille accorde une très grande importance à la qualité de la formation des jeunes clercs. Un Cycle Supérieur de toute l’Église orthodoxe russe vient d’ailleurs d’être fondé à Moscou, permettant aux meilleurs étudiants des académies et des séminaires d’obtenir des doctorats et des habilitations dans le cadre du Département des relations extérieurs. J’ai l’honneur de diriger ce Cycle, et j’espère y accueillir de nombreux anciens élèves de ce séminaire. Voilà donc le but premier du Séminaire orthodoxe russe en France : donner à des séminaristes orthodoxes russes une formation théologique de qualité dans un cadre international, leur permettant de se préparer, en prolongeant leurs études scientifiques, à enseigner à leur tour.

Mais sans aucun doute le Séminaire orthodoxe russe en France remplira, par surcroit, une autre fonction. Il sera, en quelque sorte, une fenêtre – peut-être devrais-je dire une icône – de l’Église orthodoxe russe sur les chrétiens de France, et une fenêtre de l’Église de France sur l’orthodoxie russe. En effet, le séminaire fournira à l’Église orthodoxe russe non seulement des enseignants, mais aussi de jeunes prêtres polyglottes, connaissant bien leurs frères chrétiens d’Occident et la société occidentale, qui pourront par la suite travailler dans le domaine des relations interconfessionnelles. Le président du Département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, que je suis, ne peut donc manquer d’être directement intéressé par ce projet. Connaître la langue de l’interlocuteur, sa culture, sa mentalité, est un acquis inestimable dans le dialogue. Une autre dimension du séminaire sera également de contribuer à faire mieux connaître aux chrétiens d’Occident la tradition orthodoxe russe, sa spiritualité, sa pensée. Une grande partie des obstacles entre nous proviennent de la méconnaissance mutuelle, dont résulte le manque de confiance. Grâce aux multiples sessions, rencontres, retraites organisées dans le cadre de ce séminaire, les chrétiens occidentaux qui le souhaiteront auront une meilleure idée de notre tradition. Ainsi, en témoignant auprès du public occidental de la tradition orthodoxe russe, et en permettant aux séminaristes de mieux connaître la tradition chrétienne occidentale, le séminaire apportera, j’en suis persuadé, une pierre inestimable à l’avancement de la grande tâche de l’unité des chrétiens pour laquelle le Seigneur a prié.

Mardi 17 Novembre 2009
Séminaire russe