«Nul ne peut nuire à celui qui ne fait pas de tort à lui-même», homélie pour la translation des reliques de S. Jean Chrysostome



«Nul ne peut nuire à celui qui ne fait pas de tort à lui-même», homélie pour la translation des reliques de S. Jean Chrysostome
Trente ans après sa mort en exil, le corps de saint Jean Chrysostome fut transféré à Constantinople, sous l’archevêque Proclus. C’est ce retour glorieux de l’archevêque condamné et calomnié dans sa ville que nous célébrons aujourd’hui. Des fêtes comme celle-ci rappellent que le mal ne triomphe que pour un certain temps ; il finit toujours par céder la place à la justice. Le dernier mot de l’histoire revient à la justice et à la vérité.

Un juste n’est pas blâmé pour longtemps. Il sait attendre, il sait patienter et supporter l’outrage, parce qu’il sait qu’en fin de compte la vérité éclatera. Il n’a pas peur. Il ne craint ni la calomnie, ni l’insulte, ni les condamnations, ni les châtiments. Rien de tout cela ne l’atteint, parce qu’il sait que la valeur de l’homme ne se mesure pas à sa réputation aux yeux des hommes, mais au prix qu’il a aux yeux de Dieu. Jean Chrysostome savait que sa dignité ne dépendait ni des honneurs de sa charge, ni du jugement de l’empereur, de sa femme, de sa cour, ni du confort de la capitale, ni de l’avis du public, ni même de la notoriété auprès des fidèles chrétiens. Dans la Lettre qu’il a écrite de son exil, il affirme qu’il n’y de la dignité de l’homme que celle qui lui est intrinsèque. « Nul ne peut nuire à celui qui ne fait pas de tort à lui-même », voilà le message que l’évêque déchu et outragé a voulu passer aux fidèles de son Église quelques semaines avant sa mort. C’est une devise incroyablement puissante : elle rend celui qui s’y tient singulièrement libre et résistant.

Jean Chrysostome aimait beaucoup l’exemple de Job de l’Ancien Testament. Il devait certainement s’assimiler un peu à lui. Voilà ce qu’il en dit dans sa Lettre d’exil : « Qu’est-ce qui fait la valeur de l’homme ? Ce ne sont pas les richesses, pour qu’on craigne la pauvreté ; ce n’est pas la santé, pour qu’on ait peur de la maladie ; ce n’est pas l’opinion de la foule, pour qu’on redoute la mauvaise réputation ; ce n’est pas purement et simplement de vivre, pour qu’on appréhende la mort ; ce n’est pas la liberté pour qu’on fuie la prison, mais c’est la connaissance exacte de la vraie doctrine et la rectitude de la vie. Ces biens-là, le diable lui-même ne pourra en dépouiller celui qui les possède, s’il les garde avec le soin qui convient. »

Cela ne veut pas dire que le juste n’éprouve aucune douleur, aucune déception, aucune amertume. Bien sûr qu’il en éprouve, mais il sait qu’aucun mal extérieur ne peut l’affecter dans sa dignité de fils et d’image de Dieu ; que nul ni rien ne peuvent le priver de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus : « Ni la perte de la fortune, ni les dénonciations, ni les injures, ni ce qui semble plus redoutable que tout, la mort, ne causent de dommage à ceux qui les subissent, mais, au contraire, leurs sont utiles ». Pour un innocent, le mal qu’on veut lui causer devient, contre le gré de ses tortionnaires et calomniateurs, une source de grâce et un moyen pour s’élever vers la béatitude des humbles.

Jean Chrysostome ajoute cependant : « Je ne dis pas que personne ne cause de tort, mais que personne n’en subit ». En fait, le tort que nous causons aux autres, c’est le seul qui nous affecte : « Ceux qui subissent le plus de torts, qui sont menacés et qui supportent des maux irrémédiables, ce sont les auteurs des injustices ». Personne ne ne peut nous atteindre dans notre dignité essentielle ; notre valeur peut, en revanche, être compromise par ce que nous faisons subir à nous-mêmes et aux autres. Pour quelqu’un qui est lui-même emprisonné, exilé, condamné et diffamé, comme ce fut le cas du Chrysostome, cette conviction n’est pas accessoire ; c’est l’origine de sa persévérance, la source de sa force et l’appui de sa foi et de son espérance.

Tel est l’ultime message de Jean Chrysostome à l’Église qui résume toute sa vie, son ministère, le courage de son témoignage apostolique : «Nul ne peut nuire à celui qui ne fait pas de tort à lui-même». Il l’a confirmé de toute la force de ses souffrances dans la relégation et ce n’est pas dans la chaleur d’un bureau, mais dans l’humidité d’une cellule et avec les larmes d’un homme banni qu’il écrivit ces dernières phrases de sa dernière lettre: «Ne pensons pas que la difficulté tenant aux circonstances et aux événements, que la contrainte et la force, la tyrannie des puissants soient pour nous des excuses valables, lorsque nous commettons une faute. Ce que j’ai dit en commençant, je le dirai en terminant maintenant mon discours : si quelqu’un subit un dommage et un tort, il le subit entièrement de son propre chef, non de la part des autres, même s’il y a mille personnes à lui faire tort. Ainsi, celui qui ne subit pas de tort de son propre chef, tous les êtres qui peuplent la terre et la mer auraient beau s’attaquer à lui, ils ne pourront lui nuire le moins du monde».

Samedi 9 Février 2013
Alexandre Siniakov