Homélie pour le dimanche du Triomphe de l'Orthodoxie



Homélie pour le dimanche du Triomphe de l'Orthodoxie
Cette homélie a été prononcée par le hiéromoine Alexandre Siniakov, recteur du Séminaire orthodoxe russe en France, le dimanche 4 mars 2012, fête du Triomphe de l'Orthodoxie, à la cathédrale orthodoxe grecque Saint-Étienne à Paris.

Chers frères et sœurs, depuis le IXe siècle, le premier dimanche du Grand Carême, l’Eglise orthodoxe célèbre la restauration de la vénération des saintes images du Seigneur, de sa Mère toute pure et de ses saints. C’est le triomphe de la foi orthodoxe sur l’hérésie iconoclaste ; c’est l’adoption définitive de la doctrine du septième concile œcuménique – celui de Nicée de 787 ; c’est la fin symbolique de l’époque des grandes controverses christologiques.

L’importance de la fête du Triomphe de l’Orthodoxie n’a cessé de grandir au cours du deuxième millénaire – période de grandes épreuves pour le christianisme byzantin – pour devenir une véritable solennité de la catholicité orthodoxe, de l’unité de l’Eglise et de la puissance de la foi chrétienne.

La liturgie de ce dimanche est suivie d’un office particulier où l’Eglise de Dieu renouvelle les anathèmes contre les principales doctrines hérétiques et commémore avec reconnaissance les saints docteurs, évêques, moines, souverains, fidèles qui ont contribué à faire rayonner la foi orthodoxe et à transmettre, dans toute sa pureté, la tradition apostolique. Cet office est aussi l’occasion de renouveler notre attachement à la vénération des icônes et de la mémoire des saints et des saintes de Dieu. En somme, c’est une occasion de professer, à nouveau, les fondements de notre foi dans le Christ Jésus, Dieu véritable, devenu pleinement homme pour le salut du monde. En réaffirmant notre fidélité à l’enseignement des Pères et des conciles œcuméniques, en exprimant par la vénération des icônes notre foi dans la réalité de l’incarnation du Verbe de Dieu, nous donnons une dimension théologique à notre Carême qui ne serait qu’un régime alimentaire ou une pratique ascétique sans valeur salutaire en dehors de la confession de la foi apostolique. Ainsi, chers frères et sœurs, le Carême est non seulement l’occasion de purifier notre esprit et notre corps : c’est aussi le moment de purifier et de renouveler notre foi dans la Trinité dont une des Personnes – le Verbe et la Sagesse du Père – a assumé, dans toute son intégrité, notre nature humaine non seulement pour la restaurer dans son éclat originel de l’image de Dieu, mais aussi pour la diviniser pleinement au contact avec sa divinité suressentielle.

La fête du Triomphe de l’Orthodoxie rappelle donc que le Carême est non seulement une période particulière d’ascèse et de pénitence, mais aussi un temps mystagogique où nous redécouvrons le mystère du salut de Dieu, où nous réapprenons à être chrétiens. Je vous propose, frères et sœurs, de pratiquer aujourd’hui cette mystagogie pré-pascale, en approfondissant trois aspects de l’orthodoxie doctrinale, dont nous célébrons le triomphe historique. Je vous promets de ne pas abuser de la confiance qui m’est faite par le métropolite Emmanuel et d’être aussi concis que je suis actuellement ému de parler devant une si illustre assemblée.

Les trois aspects de l’orthodoxie dont il sera question sont la modération, l’harmonie et la paix. Pour les exposer, je me référerai à un des plus remarquables archevêques de Constantinople – saint Grégoire le Théologien, de Nazianze. Saint Grégoire fut en effet un chantre convaincant de la modération et du juste milieu aussi bien dans la foi que dans la vie des chrétiens. L’orthodoxie est, pour le Théologien, le juste milieu entre deux extrémités hérétiques. Dans la doctrine trinitaire, c’est le milieu entre la division d’Arius et la confusion de Sabellius. En christologie, c’est la voix moyenne entre la confusion d’Apollinaire de Laodicée et la duplication en deux Fils, théorie qui sera plus tard attribuée à Nestorius. Tout au long des controverses christologiques, la doctrine orthodoxe se situera entre deux extrémités : entre d’une part, la distinction de l’unique Seigneur en deux hypostases et, d’autre part, la confusion de sa divinité et de son humanité en une seule nature. Autrement dit, entre le traditionalisme intempestif des monophysites sévériens, attachés outre mesure à la lettre de certains écrits de saint Cyrille d’Alexandrie, et celui des disciples de Théodore de Mopsueste qui, dans leur souci de mettre la divinité du Verbe à l’abri de la passion, menacent l’unité du « mélange paradoxal » des deux natures en une seule hypostase du Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme. La foi orthodoxe fuit donc les extrêmes et s’en tient au juste milieu. Et, pour parler avec les paroles de saint Grégoire, « quand je dis ‘juste milieu’, je veux dire la seule vérité sur laquelle il est bon de tenir nos regards fixés en rejetant l’erreur » (Or. 20, 6). C’est exactement ce qu’a affirmé un autre grand docteur qui a vécu ici, en France, saint Hilaire de Poitiers qui a beaucoup souffert en défendant ce qu’il appelait le « juste milieu orthodoxe » dans la foi en Dieu Trinité (cf. La Trinité X, 52).

Le deuxième aspect de la foi orthodoxe, qu’il convient de mentionner ici, c’est son harmonie. L’harmonie qui caractérise l’Eglise, la concorde entre les disciples du même Seigneur doit rappeler celle de la Trinité elle-même. Elle correspond à l’harmonie du cosmos, de l’univers qui nous entoure. L’harmonie est une propriété essentielle de la vie chrétienne. Comme le souligne saint Grégoire le Théologien, c’est « l’imitation de Dieu et de ce qui est divin qui nous contraint à la bienveillance et à l’harmonie ». « C’est, dit-il, seulement dans cette direction qu’il est prudent que l’âme, faite à l’image de Dieu, porte ses regards pour conserver le plus possible sa noblesse en le prenant pour modèle et, autant qu’elle le peut, en s’assimilant à lui » (Or. 6, 14).

Enfin, le troisième élément indispensable de l’orthodoxie, du reste de la même nature que les deux dont il a déjà été question, c’est l’amour de la paix. Ecoutez à ce sujet saint Grégoire le Théologien : « Seuls sont proches de Dieu et de ce qui est divin ceux qui manifestent leur attachement au bien de la paix, haïssent son contraire, la division, et la trouve insupportable. Mais ils sont du parti adverse, ceux qui ont des mœurs belliqueuses, poursuivent la gloire en innovant et se vantant de ce qui fait leur honte » (Or. 6, 13). La paix de l’Eglise est un trésor inestimable qu’il est parfois difficile de garder. Et nous savons que le diable ne cesse de chercher à nous la dérober, en « tirant des flèches dans l’obscurité contre le corps commun de l’Eglise » (ibid.)

Il est de notre devoir, nous les héritiers des Pères des sept conciles œcuméniques, de garder précieusement la perle de la foi orthodoxe que Dieu nous a fait découvrir et pour laquelle nous avons oublié tout le reste, en cultivant la modération dans le juste milieu de la Vérité, en cultivant l’harmonie et la paix et en priant pour que cessent dans l’Eglise du Christ les divisions. Il est bon que soit préservée et renforcée la tradition de nous réunir tous – orthodoxes de juridictions et d’origines différentes – le dimanche du Triomphe de l’Orthodoxie, pour rendre ensemble grâce à notre Créateur de « nous avoir bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles aux cieux, dans le Christ », de « nous avoir élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour, déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ » (Eph 1, 3-5), notre unique Seigneur et Sauveur.



Dimanche 4 Mars 2012
Alexandre Siniakov