Homélie pour la fête de la Nativité du Seigneur

L'Homélie prononcée au Séminaire par le recteur hiéromoine Irénée Gribov à la Divine liturgie des vigiles de la Nativité dans la nuit du 24 au 25 décembre 2025.



Je n’accorderai aucun sommeil à mes yeux ni de repos à mes paupières, avant d’avoir trouvé un lieu pour le Seigneur, une demeure pour le Puissant de Jacob (Ps 131, 4).

Ces paroles du psaume, mises sur les lèvres du roi David et que nous avons entendues ce midi aux grandes heures de la Nativité, expriment une soif de Dieu plus forte que tout autre désir humain, plus forte même que le besoin le plus naturel, celui du repos et du sommeil. David vivait habité par une seule pensée : offrir à Dieu une demeure digne de Lui, un lieu où le Très-Haut pourrait habiter au milieu de son peuple. Toute sa vie était tendue vers cette rencontre, vers ce désir que Dieu ne soit pas seulement invoqué, mais réellement présent parmi les hommes. Pourtant, David ne verra pas l’accomplissement de ce désir. Le Temple sera construit par son fils Salomon. Et même ce Temple, si splendide qu’il fût, connaîtra la destruction, la profanation, la reconstruction. Il demeurera un lieu de rencontre entre Dieu et l’homme, mais il ne deviendra jamais la demeure définitive de Dieu. Car aucun édifice, aussi saint soit-il, ne peut contenir Celui que le ciel et la terre ne peuvent enfermer.
 
C’est alors qu’en cette nuit sainte il y a 2000 ans, quelque chose de radicalement nouveau advient. Dieu vient Lui-même sur la terre. Il ne vient pas parce qu’Il y serait contraint, ni parce qu’Il devrait accomplir une promesse comme on s’acquitte d’une obligation. Dieu ne naît pas simplement parce que les prophètes, que nous avons tant entendu aujourd’hui, l’avaient annoncé. Il vient parce que quelqu’un a besoin de Lui. Il vient parce qu’au cœur de l’humanité existe une faim que rien d’autre que Dieu Lui-même ne peut rassasier. Et ici se révèle un paradoxe profond : très souvent, l’homme n’a pas besoin de Dieu, mais seulement de ce que Dieu peut lui donner. Il attend de Lui une aide, une protection, une solution, un apaisement. Mais il arrive parfois – rarement, mystérieusement, – que l’homme n’ait besoin que de Dieu seul : de Dieu comme vie, de Dieu comme amour, de Dieu comme sens. C’est précisément alors que Dieu vient. C’est précisément alors qu’Il naît.
 
Pour venir ainsi, Dieu se construit Lui-même une demeure qui n’est pas faite de main d’homme. Il se bâtit un Temple vivant dans le sein virginal de la Très-Sainte Mère de Dieu, en assumant un corps humain. Depuis Adam, l’homme a rencontré Dieu, mais il n’a jamais appris à vivre avec Lui. Même les justes, même David, même les prophètes ont éprouvé cette limite : rencontrer Dieu ne suffit pas, il faut encore pouvoir demeurer avec Lui. C’est pourquoi Dieu devient homme. Comme le dira saint Grégoire le Théologien, cet événement est une « union étonnante et un échange paradoxal » (Homélie 45, 9). Le Créateur entre dans la création, l’Éternel accepte le temps, et le Tout-Puissant assume la fragilité humaine. Saint Irénée de Lyon exprime ce mystère avec une profondeur bouleversante lorsqu’il écrit : « Le Verbe de Dieu est venu pour habituer l’homme à recevoir Dieu, et pour habituer Dieu à habiter dans l’homme » (Contre les hérésies, III, 20, 2). Voilà ce que nous célébrons en cette nuit de Noël. Dieu s’habitue à l’homme, et l’homme apprend à vivre de Dieu. Ce chemin trouve son sommet dans cette parole vertigineuse de saint Athanase d’Alexandrie : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (De l’incarnation, 54, 3). Non pas par nature, mais par grâce ; non pas par orgueil, mais par amour ; non pas en fuyant le monde, mais en le transfigurant de l’intérieur.
 
Les mages, guidés par l’étoile, entrent eux aussi dans ce mystère. Ils quittent leurs certitudes, traversent la nuit, suivent une lumière fragile et viennent se prosterner devant un Enfant. Dans ce geste d’adoration, les mages apprennent à vivre de Dieu et à reconnaître en Lui la source de la vraie vie.
 
En cette nuit de Bethléem, quelque chose peut aussi commencer en nous. Si Dieu trouve dans notre cœur un lieu où demeurer, si le Christ y naît réellement, alors l’homme lui-même devient lumière. Il devient étoile au-dessus de la grotte de son propre cœur, portant en lui le Sauveur du monde. Que cette nuit nous apprenne à désirer Dieu plus que tout, à Le chercher plus que Ses dons, et à laisser Sa lumière briller en nous et à travers nous, au milieu des ténèbres de ce monde. Amen.

Jeudi 25 Décembre 2025
Irénée Gribov

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